H.8. Saint Pierre et Saint Paul, inséparables

Tout n’est-il pas dit ? Fallait-il ajouter une étape à notre pèlerinage ? Pourquoi parler de St Pierre ?

Dans l’histoire du christianisme, malgré une tradition forte et ancienne, on a parfois voulu opposer Pierre et Paul. Pierre et à travers lui son successeur, le Pape. Paul et à travers lui ceux qui revendiquent une certaine liberté par rapport à l’autorité (Paul s’est publiquement opposé à Pierre, à Antioche : cf partie E).

L’institution et le prophétisme.

Pourtant nous parlons bien de deux Apôtres, ayant consacré toute leur vie à l’annonce du Salut en Jésus Christ, à l’unité du corps du Christ qui est l’Église, à l’avènement de la « civilisation de l’amour », pour reprendre une expression de St Jean-Paul II.

Ce ne peut être la volonté du Christ que nous les séparions, ni que nous les utilisions pour justifier les déchirements qui ont eu lieu dans l’histoire.

Il est frappant de constater que Dieu a voulu que l’un et l’autre lui rendent le témoignage suprême, celui du martyre, dans la même ville, et qu’en conséquence leurs tombes ne soient séparées que de quelques kilomètres.

N’oublions pas non plus qu’avant de donner leur vie, l’un et l’autre ont séjourné un long temps dans la capitale de l’Empire, marquant d’une empreinte très profonde la communauté chrétienne de Rome.

C’est pourquoi, dès le début, les chrétiens de Rome ont uni Pierre et Paul en une unique vénération, en un unique jour : le 29 juin (le 3 des calendes de juillet, pour employer la terminologie de l’époque romaine).

Retraçons l’histoire commune de ces « deux piliers de l’Église », ainsi que la tradition chrétienne va les appeler.

 

Dans la Bible

Leur première rencontre se passe à Jérusalem, lorsque Paul est introduit par Barnabé auprès des Apôtres : cf partie A.5.

Une seconde a peut-être lieu lors d’un voyage pour apporter une aide à l’Église de Jérusalem : cf partie A.6.

Une troisième rencontre, toujours à Jérusalem, nous est rapportée par St Luc. Lors du « Concile de Jérusalem » consacré à l’accueil des chrétiens d’origine païenne dans l’Église, Pierre parle dans le même sens que Paul : cf partie C.

Paul mentionne, dans l’épître aux Galates, une rencontre qui pourrait être l’une des précédentes, mais ce n’est pas sûr : cf partie E (en particulier la note « La montée à Jérusalem de Gal 2,1 »).

Puis vient la fameuse « dispute » d’Antioche, où Paul s’oppose publiquement à Pierre parce que, sous la pression de judéo-chrétiens, son comportement ne correspond pas à son enseignement : cf partie E.

Les textes bibliques réservent enfin une surprise. La 2e lettre de St Pierre a sans doute été écrite après la mort de Pierre et Paul, par un chrétien se réclamant de l’autorité de Pierre. L’auteur affirme que les épîtres de Paul font partie des « Écritures », c’est à dire des textes inspirés par Dieu : « Tenez la longanimité de notre Seigneur pour salutaire, comme notre cher frère Paul vous l’a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. Il le fait d’ailleurs dans toutes les lettres où il parle de ces questions. Il s’y rencontre des points obscurs, que les gens sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens – comme d’ailleurs les autres Écritures – pour leur propre perdition. » (2 Pi 3,16-17)

 

Dans la Tradition la plus ancienne

Après le temps des Apôtres, l’Église a volontairement voulu rendre hommage, en les unissant, à ceux qui ont l’un et l’autre rendu témoignage au Christ.

Clément de Rome écrit vers 95, soit 30 ans après la mort des Apôtres

Oui, regardons les saints Apôtres : Pierre, victime d’une injuste jalousie subit non pas une ou deux, mais de nombreuses épreuves, et après avoir ainsi rendu son témoignage, il s’en est allé au séjour de la gloire, où l’avait conduit son mérite. C’est par suite de la jalousie et de la discorde que Paul a montré quel est le prix de la patience : chargé sept fois de chaînes, exilé, lapidé, il devint héraut du Seigneur au levant et au couchant, et reçut pour prix de sa foi une gloire éclatante. Après avoir enseigné la justice au monde entier, jusqu’aux bornes du couchant, il a rendu son témoignage devant les autorités et c’est ainsi qu’il a quitté ce monde pour gagner le lieu saint, demeurant pour tous un illustre modèle de patience.

Clément de Rome – Épitre aux Corinthiens V,3-7

Sarcophage de Berja – Pierre et Paul comparaissent ensemble devant Néron

Eusèbe de Césarée, vivant au 4e siècle est l’un des premiers historiens de l’Église. Il rapporte des extraits d’écrits des 2e et 3e siècles faisant mention de Pierre et Paul.

Ainsi donc, cet homme (Néron) qui a été proclamé ennemi de Dieu, au premier rang parmi les plus grands, poussa la présomption jusqu’à assassiner les apôtres. On raconte que, sous son règne, Paul eut la tête coupée à Rome même et que semblablement Pierre y fut crucifié et ce récit est confirmé par le nom de Pierre et de Paul qui jusqu’à présent est donné aux cimetières de cette ville.

C’est ce qu’a affirmé tout autant un homme ecclésiastique, du nom de Gaïus, qui vivait sous Zéphyrin (Pape de 198 à 217), évêque des Romains. Discutant par écrit contre Proclus, le chef de la secte cataphrygienne, il dit à propos des lieux où furent déposées les dépouilles sacrées des dits apôtres, ces propres paroles : « Pour moi, je peux montrer les trophées des apôtres. Si tu veux aller au Vatican ou sur la voie d’Ostie, tu trouveras les trophées de ceux qui ont fondé cette Église. »

Que tous deux ont rendu témoignage dans le même temps, c’est là ce qu’établit par écrit Denys, évêque de Corinthe (165-174), qui écrit aux Romains : « Dans un tel avertissement, vous aussi avez uni les plantations faites par Pierre et par Paul, celle des Romains et celle des Corinthiens. Car tous deux ont planté dans notre Corinthe et nous ont semblablement instruits ; et semblablement, après avoir enseigné ensemble en Italie, ils ont rendu témoignage dans le même temps. »

Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, II, 25

Traditio legis, sarcophage, Arles. Le Christ entre saint Pierre et saint Paul remet la lois aux apôtres

Irénée, 2e évêque de Lyon (fin 2e siècle) fait allusion à la fondation de l’Église de Rome

L’Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtre Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome.

Irénée de Lyon, Contre les hérésies, 3, 3, 2

Sarcophage antique. Le Christ transmet la loi à Pierre et Paul

Tertullien (mort vers 220) tient à unir les deux martyrs du Christ

Il est heureux que Pierre et Paul aient été mis sur le même plan par la gloire du martyre.

Tertullien, Prescription contre les hérétiques, 24, 2

Nous lisons dans la Vie des Césars que Néron, le premier, ensanglanta à Rome la foi naissante. Alors Pierre a sa ceinture nouée par un autre (allusion à Jn 21,18-19) lorsqu’il est attaché à la croix. Alors Paul obtient la naissance dans la cité romaine, en renaissant là par un martyre généreux.

Tertullien, Scorpiace, 15, 3

La catacombe St Sébastien

Si les Apôtres ont été ensevelis chacun près du lieu de leur martyre, leurs reliques ont connu un temps de rapprochement, témoignant de l’égale vénération que leur vouait l’Église de Rome.

Au cours de la persécution de Valérien (258), les chrétiens ont voulu mettre les ossements de Pierre et de Paul en sécurité en les plaçant dans un cimetière non chrétien (donc moins suspect aux yeux des autorités romaines). Ce cimetière se situait « ad catacumbas », c’est à dire « près de la combe, près de la carrière ». Il s’appelle aujourd’hui : Catacombe St Sébastien. C’est de lui que vient le nom « catacombe », appliqué ensuite à aux cimetières souterrains de Rome et d’ailleurs.

Graffiti sur un mur de la catacombe St Sébastien. On y lit le nom de Pierre, preuve que des pèlerins sont venus vénérer ses restes en ce lieu

Au 4e siècle, le Pape Damase (+384) fait mettre une plaque dans la catacombe St Sébastien.

Là, vous devez le savoir, reposèrent d’abord les saints. Si vous demandez leurs noms, c’étaient Pierre et Paul.

De même, le Martyrologe Hiéronymien (vers 420) donne une même date de fête pour les deux Apôtres, et rapporte cet événement du passage des reliques à St Sébastien.

Le 3 des calendes de juillet (c’est à dire le 29 juin). À Rome, naissance (au Ciel) des saints apôtres Pierre et Paul, Pierre via Aurelia au Vatican, Paul via Ostiensi. Tous deux aux Catacombes. Passion sous le consulat de Néron, (et déposition à la Catacombe sous le consulat de) Bassus et Tuscus (vers 258).

Pierre et Paul, gravure sur une pierre tombale en marbre venant de la catacombe St Sebastien – IVe siècle, musée du Vatican.

Après les persécutions, la liberté religieuse étant établie, les ossements de Pierre furent rapportés au cimetière du Vatican et ceux de Paul au cimetière de la voie d’Ostie. Constantin, le premier empereur chrétien fit ensuite bâtir une basilique sur chacune des tombes. Ce sont les basiliques St Pierre du Vatican et St Paul-hors-les-murs.

Depuis lors, l’Église a toujours célébré l’unité des deux Apôtres : Pierre, le premier, selon les paroles mêmes de Jésus, et Paul, le dernier, selon ses propres paroles et parce qu’il a été appelé après la Résurrection de Jésus. On pourrait citer quantité de textes.

Sarcophage antique – Le Christ transmet la loi à Pierre et Paul

St Ambroise, évêque de Milan (+397) a composé de nombreux hymnes liturgiques.
Voici l’hymne 12, consacré à Pierre et Paul.

 

La passion des deux apôtres

A consacré ce jour du siècle, (le 29 juin)

Montrant Pierre en noble triomphe

Et le couronnement de Paul.

 

Le sang de leur mort triomphale

Unit à l’égal ces héros ;

Ils ont suivi Dieu comme guide,

La foi au Christ les couronna.

 

Pierre est le premier des apôtres,

Paul n’est pas le moindre, par la grâce :

Vase de sainte élection,

Il égala la foi de Pierre.

(…)

 

À l’entour de la Ville immense

La foule marche en rangs serrés ;

C’est sur trois voies* que l’on célèbre

La fête des martyrs sacrés.

 

On croit voir s’avancer le monde,

Accourir le peuple du ciel :

Ô élue, tête des nations !

Siège du maître des nations !

 

* Voie Aurélienne (tombe de Pierre),

voie d’Ostie (tombe de Paul),

voie Appia (Catacombe St Sébastien appelée Cimetière des Apôtres au temps d’Ambroise)

St Augustin, évêque d’Hippone (+ 430) a consacré plusieurs homélies, le 29 juin, à la solennité des Sts Pierre et Paul. Il a toujours insisté sur l’unité des deux.

Les deux Apôtres ont souffert le même jour ; ils ne faisaient qu’un; eussent-ils souffert en des jours différents, ils ne faisaient qu’un. Pierre marchait en avant, Paul le suivait, Paul qui d’abord était Saul, superbe d’abord et humble ensuite. Le nom de Saul en effet lui venait de Saül, le persécuteur de saint David. Il fut abattu persécuteur, et il se releva prédicateur. (…)

Nous célébrons aujourd’hui une fête consacrée en notre faveur par le sang des Apôtres; aimons leur foi, leur vie, leurs travaux, leurs souffrances, leur confession de foi, leurs prédications.

Augustin – Extrait du Sermon 295 pour la fête des Sts Pierre et Paul

Trois détails du sarcophage de Junius Bassus. De gauche à groite : Arrestation de Pierre – Le Christ transmet la loi à Pierre et Paul – Arrestation de Paul

C’est aujourd’hui le jour où, comme l’atteste la foi de l’Église romaine, les apôtres Pierre et Paul ont triomphé du démon et remporté la couronne de la victoire. (…)

D’après la tradition de nos pères que nous avons retenue de mémoire, ils n’ont pas souffert dans l’espace d’un même jour. (…) On a donc assigné à chacun d’eux des jours différents qui ont fini par se fondre en un seul. C’est là pour moi un signe évident de la concorde qui régnait entre eux. Le dernier des apôtres, appelé pour le même jour, se rencontre pour recevoir la couronne le même jour que son collègue dans l’apostolat, que le Sauveur avait appelé le premier. L’un a été choisi avant la passion du Seigneur, l’autre après l’Ascension. D’après l’ordre des temps, il y a inégalité entre eux, mais ils sont égaux par l’éternelle félicité dont ils jouissent, l’un après avoir été pêcheur, l’autre après avoir été persécuteur. Dans l’un Dieu a choisi ce qu’il y a de faible pour confondre ce qui est fort ; dans l’autre, il a laissé le péché abonder pour faire surabonder sa grâce. Dans tous les deux, Dieu a fait éclater sa gloire et sa grâce, et c’est lui qui est l’auteur exclusif de leurs mérites.

Augustin – Extrait du Sermon 381 sur la fête des Sts Pierre et Paul

C’est Dieu qui a fait éclater sa gloire dans et à travers la vie de Pierre et de Paul.

Il continue de le faire dans et à travers la vie des apôtres de notre temps, tous les disciples-missionnaires d’aujourd’hui.

Que vienne le temps où l’Église, Corps du Christ, sera manifestement Une pour rendre témoignage au Dieu d’Amour qui est Un en trois Personnes. C’est la dernière prière du Christ avant sa Passion : 

Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi.
Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.

(Jn 17,21)

Pierre et Paul ont désiré cette œuvre d’unification et s’y sont prêtés.

Elle est et sera toujours celle de l’Esprit Saint.

Qu’il vienne donc avec puissance sur tous les disciples de Jésus !

 

Pierre et Paul se rencontrent à Rome – Mosaïque de la chapelle palatine à Palerme

 

Que la bénédiction de Dieu vienne sur tous ses enfants.

Que son Amour soit connu et aimé.

À lui la gloire pour l’éternité.

Amen !