Retour à Antioche de Syrie
On imagine assez bien l’émotion des chrétiens d’Antioche, qui avait été enseignés pendant plus d’un an par Barnabé et Paul. Ils les avaient vus partir à l’aventure, « confiés à la grâce de Dieu » (Ac 14,26). Pendant les 2 années de cette mission, ils n’avaient pas reçu de nouvelles.
Peut-être un écho, tout de même, de la mission à Chypre : Jean, surnommé Marc, cousin de Barnabé, avait quitté les Apôtres à Pergé. Qu’était-il devenu ensuite ? Il est fort possible qu’il soit retourné à Antioche. Dans ce cas, il a pu raconter la première partie de ce voyage missionnaire, avant de laisser ses auditeurs dans la crainte de tout ce qui aura pu arriver à Paul et Barnabé s’éloignant vers les rudes contrées d’Asie mineures.
Mais, à présent, les voilà de retour, et le souci fait place à la joie.
Luc écrit qu’ils restent là, à Antioche, « un temps assez long » (Ac 14,28).
Vers Jérusalem
À une date inconnue (avant le retour de Paul et Barnabé ? au cours de ce « temps assez long » à Antioche ?), des chrétiens d’origine juive arrivent de Jérusalem. Il y a alors une controverse quant à l’observance des coutumes de Moïse, et en particulier de la circoncision (ordonnée par Dieu à Abraham comme signe de l’Alliance et de l’élection divine : Gn 17,10-11). La discussion est vive. « Il fut décidé que Paul, Barnabé et quelques autres des leurs monteraient à Jérusalem auprès des apôtres et des anciens pour traiter de ce litige. » (Ac 15,2)
Parmi les « quelques autres », figure sans doute Tite. Dans l’épître aux Galates, Paul parle en effet de sa présence à Jérusalem à ses côté. Il précise que Tite, « qui est grec, ne fut pas forcé de se faire circoncire » (Gal 2,3). Il semble donc que cela se passe avant la décision de Jérusalem de ne pas imposer la circoncision aux chrétiens d’origine païenne.
La route se fait en « traversant » la Phénicie et la Samarie. On peut donc supposer un voyage intégralement sur terre : 780 km.
Luc donne l’impression que, sur tout le trajet, Paul et Barnabé racontent leur voyage missionnaire et la conversion des païens, et que, partout, cela suscite une grande joie.
Sur les pas de Paul
Antioche de Syrie
Byblos
La baie de Jounieh
La ville de Tyr, au sud Liban
Le port d’Akko
Le tell Megiddo
La Samarie
Jérusalem
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Antioche de Syrie
Vue d’Hatay, l’antique Antioche de Syrie. La voie romaine principale part d’abord vers le nord, par cette vallée. -
Byblos
La ville phénicienne de Byblos, au nord Liban. -
La baie de Jounieh
La route longe le beau littoral libanais. Ici, l’actuelle baie de Jounieh, au nord de Beyrouth. -
La ville de Tyr, au sud Liban
Nous en reparlerons lors du 3e voyage de Paul : F.10. De Milet Jérusalem -
Le port d’Akko
Akko, connu au Moyen-Âge sous le nom de St Jean d’Acre, a été traversée par Paul sous son nom antique de Ptolémaïs. -
Le tell Megiddo
Le chemin le plus rapide vers Jérusalem continue le long de la côte, en direction de Césarée maritime. Mais Luc précise que Paul et ses compagnons traversent la Samarie. Sans doute pour visiter au passage les communautés chrétiennes qui y sont implantées. Il faut donc qu’ils s’engagent dans la vallée d’Yizréel. Ci-contre, le tell Megiddo, dans cette vallée, ouvert par les fouilles archéologiques. -
Jérusalem
Au terme d’un mois de voyage, enfin : Jérusalem.
L’assemblée de Jérusalem
Arrivés à Jérusalem, ils furent accueillis par l’Église, les apôtres et les anciens, et ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux. Mais certaines gens du parti des Pharisiens qui étaient devenus croyants intervinrent pour déclarer qu’il fallait circoncire les païens et leur enjoindre d’observer la Loi de Moïse. Alors les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette question. (Ac 15,4-6)
Extrait du film « Paul de Tarse » :
L’enjeu est important : faut-il devenir Juif pour être chrétien ? Tout l’avenir de l’Église est là.
On écoute d’abord Pierre, qui souligne qu’il n’y a pas de raison d’imposer aux païens un fardeau que les Juifs n’ont pas pu porter, c’est à dire l’observance d’une loi impossible à suivre intégralement et qui, du coup, ne sauve pas. Il rappelle sa rencontre avec le centurion Corneille, un païen visité par le Saint Esprit tout comme les Juifs de la 1e Pentecôte. Il rappelle enfin que c’est par la grâce que nous sommes sauvés, Juifs et Païens. Cette dernière affirmation sera reprise avec force par Paul.
On écoute ensuite Paul et Barnabé.
Puis Jacques prend la parole, en dernier, ce qui semble montrer qu’il préside l’assemblée. S’appuyant sur la parole de Pierre, et citant l’Écriture, il prend position en faveur de l’abandon des prescriptions juives, en particulier la circoncision. Seuls quelques usages (abstention des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes) lui paraissent importants, pour manifester l’unité avec les croyants d’origine juive.
Toute l’assemblée se retrouve dans ces prises de position, et l’on décide de renvoyer Paul et Barnabé à Antioche, accompagnés de représentants de l’assemblée de Jérusalem : Jude, surnommé Barsabbas, et Silas, qu’on retrouvera par la suite aux côtés de Paul. Ils sont porteurs d’une lettre exposant les conclusions de l’assemblée, et désavouant au passage ceux qui se réclamaient de Jérusalem pour imposer la circoncision aux croyants d’origine païenne.
La délégation descend donc à Antioche. Luc ne nous dit pas comment. On peut imaginer qu’ils repassent par la même route qu’à l’aller, ne serait-ce que pour informer les communautés chrétiennes qui les ont accueillis pendant leur montée à Jérusalem. C’est donc, de nouveau, 780 km de route, soit environ 25 jours de voyage.
Voici une émission (26′) de KTO sur le Concile de Jérusalem. Explications d’Odile Flichy, enseignante au centre Sèvres.
Discussion et hypothèses sur l’assemblée de Jérusalem
Cette assemblée de Jérusalem pose quelques questions épineuses.
Première question :
il apparaît une contradiction à ce sujet dans le livre des Actes lui-même.
En Ac 15, Luc nous présente Paul participant à cette assemblée, et repartant à Antioche avec les décisions prises. Mais en Ac 21,25, on voit Jacques informer Paul de ces mêmes décisions, comme si Paul n’était pas au courant. On est alors réduit à faire des hypothèses. N’oublions pas que l’objectif de Luc n’est pas de nous faire une chronique historique. Il veut donner le sens des événements et montrer l’action de Dieu à travers les Apôtres, et en particulier la propagation de l’Évangile de Jérusalem jusqu’à Rome. – Ainsi, il est possible que Paul et Barnabé aient effectivement participé à une assemblée, qui aurait en effet décidé de ne pas imposer la circoncision aux païens, sans plus. Puis, plus tard, en l’absence de Paul, on aurait décidé quelques recommandations supplémentaires destinées à préserver l’unité entre juifs et païens. – Autre hypothèse : cette assemblée a bien eu lieu, mais plus tard, et en l’absence de Paul. Mais Luc, qui est sur le point de raconter le 2e voyage missionnaire de Paul, qui va le conduire en Europe, veut montrer que l’action de Paul est en cohérence avec les décisions de l’Église de Jérusalem.
Deuxième question :
le rapprochement avec l’épître aux Galates.
En effet, la « vive discussion » d’Antioche qui motive la montée à Jérusalem, dans les Actes, n’est pas sans rappeler « l’incident d’Antioche » que Paul rapporte en Ga 2,11-13 : des chrétiens « judaïsants » (d’origine juive demandant que les païens se convertissant au Christ deviennent juifs et se soumettent à la Loi) arrivent à Antioche en se réclamant de Jacques. Avant leur arrivée, Pierre mangeait avec les chrétiens issus du paganisme. Après leur arrivée, il ne mange plus qu’avec ceux issus du judaïsme. Paul réagit vivement et publiquement. Mais il ne dit pas la réaction de Pierre dans la controverse. Il ne dit pas non plus ce qu’a été l’affrontement, sûrement plus violent encore, entre lui et ses adversaires.
Alors, s’agit-il du même incident ? Il y a bien des différences. Pierre se trouve à Antioche, ce que Luc ne dit pas. Paul dit qu’il monte à Jérusalem suite à une révélation, alors que dans les Actes, la décision est prise par l’Église d’Antioche.
On est ainsi conduit à se demander si un incident semblable a pu se produire deux fois à Antioche, dont une fois en présence de Pierre. En effet, dans l’épître aux Galates, Paul parle d’abord de sa montée à Jérusalem avec Barnabé et Tite (Ga 2,1), et ensuite seulement, quand la question semble réglée, Paul parle de l’incident qui l’a opposé à Pierre (Ga 2,11-13). Il est possible que Pierre, suite à l’assemblée de Jérusalem, se soit rendu à Antioche et qu’il ait eu le comportement dénoncé par Paul lorsque d’autres sont arrivés ensuite de Jérusalem.
Troisième question :
à quelle date a pu se tenir cette assemblée de Jérusalem ?
La lettre aux Galates parle d’une montée à Jérusalem « au bout de 14 ans ». Il faut sans doute compter ces 14 ans à partir de la conversion de Paul près de Damas. Mais en suivant le récit des Actes, il semble très improbable que ce passage à Jérusalem ait eu lieu après le 1e voyage missionnaire. En 14 ans, Paul a eu le temps d’accomplir également son 2e voyage missionnaire. Mais du coup, cette montée à Jérusalem « après 14 ans » correspond-elle à celle décrite par Luc dans les Actes ?
Conclusion : de grandes zones d’ombre resteront sans doute toujours concernant cette question. La lecture de la 2e épître aux Corinthiens nous montrera clairement que nous sommes loin de tout connaître de la vie de Paul. Par ailleurs, Luc nous a montré, par l’admirable composition de son Évangile, qu’il se sent libre par rapport à la chronologie des événements, dans le but de servir d’abord la transmission de la Bonne Nouvelle. Or, à travers toute cette discussion, c’est cela qui ressort avec le plus de lumière : à un moment de l’histoire (qui a pu se passer en plusieurs étapes), l’Église a négocié un virage extrêmement important dont l’enjeu n’était rien moins que l’accueil du Salut en Jésus Christ par l’immense majorité de l’humanité plongée dans le paganisme. Paul, Pierre, Jacques et d’autres ont joué un rôle central dans ce moment. Et avec l’assistance de l’Esprit Saint, les décisions libératrices ont été prises, qui ont permis à l’Évangile de se lancer à la conquête de l’ensemble de l’empire romain. De cette aventure, Paul est l’un des plus grands héros. Luc va pouvoir maintenant nous en rapporter plusieurs moments importants.