H.3. Un 4e voyage missionnaire ? (1)
Au terme des 2 années de captivité à Rome, qu’est devenu Paul ? Certains affirment qu’il aurait été condamné à mort et exécuté. D’autres affirment que Paul aurait été libéré, puis aurait été de nouveau arrêté quelques années plus tard, et tué.
Ce qui est au centre du débat, ce sont les « lettres pastorales » : deux lettres écrites à Timothée, et une à Tite. Dans ces épîtres, on lit des informations qu’on ne trouve pas dans les Actes des Apôtres, ni dans les autres lettres de Paul, et dans un style un peu différent. Il y a donc 3 hypothèses :
- Paul a écrit ces lettres après avoir été libéré de sa captivité romaine (c’est à dire après 63). C’est l’hypothèse retenue par la Tradition.
- Paul a écrit ces lettres avant ou pendant sa captivité à Rome, et nous livre des détails nouveaux. Cette hypothèse est tout à fait possible. Rappelons-nous que nous sommes loin de tout connaître de la vie de Paul : Luc ne cherche pas à tout raconter, car son objectif est de faire une catéchèse sur l’œuvre de Dieu à travers les Apôtres. Ainsi, certains pensent que Paul a écrit ces lettres vers le début de son ministère.
- Paul n’a pas écrit ces lettres. Un auteur inconnu se réclamant de l’autorité de Paul les a placées sous sa signature. Cette hypothèse est également possible, car ce procédé était courant dans l’Antiquité, et n’avait pas le caractère frauduleux qui nous lui attribuerions aujourd’hui. Même dans ce cas, les détails donnés sont intéressants : ils n’ont pas pu être inventés comme de la pure fiction, car le souvenir de Paul était encore trop présent.
Encore une fois, nous allons adopter la position de la Tradition, sans pouvoir évaluer la distance entre le « Paul de la Tradition » et le « Paul historique » que personne ne connaît.
Paul est-il allé en Espagne ?
Avant d’ouvrir les lettres pastorales, il est utile d’exprimer la question de l’Espagne… en sachant qu’on ne peut y répondre.
Dans sa lettre aux Romains, écrite à Corinthe ou à Philippes, lors de son « 3e voyage missionnaire », donc quelques mois avant d’être arrêté à Jérusalem, Paul exprime son grand désir de rejoindre Rome (il y a sera … 2 ans plus tard, et enchaîné), puis de pousser jusqu’en Espagne pour annoncer l’Évangile : cf. Rm 15,24.28.
Entre le moment où Paul exprime ce désir et sa libération à Rome, il s’est écoulé environ 5 ans ! Est-ce que les circonstances et le temps ont modifié la décision de Paul ? A-t-il persisté dans son projet et s’est-il en effet rendu en Espagne ?
« Les conditions de possibilité sont réunies pour un voyage de Paul en Espagne, mais rien ne permet d’affirmer qu’il y soit vraiment allé. Parmi les témoignages qui plaident en faveur de ce voyage, celui de Clément de Rome n’est pas des moindres. En effet, Clément est un témoin des premières générations chrétiennes, et il est à même d’avoir recueilli des informations justes. Il atteste, vers 95, que Paul a atteint « les bornes de l’Occident ». Or dans le langage géographique des Anciens, les « bornes de l’Occident » désigne l’Espagne. […]
Les Actes de l’apôtre Pierre et de Simon (qui datent des années 180) affirment également la réalité du voyage. […]
On trouve encore la mention de ce voyage en Espagne dans le fragment de Muratori (2e siècle) : « Les Actes de tous les Apôtres ont été rédigés dans un seul livre. Luc déclare à l’excellent Théophile que tout s’est passé en sa présence. Comme il le montre bien d’ailleurs en laissant de côté la passion de Pierre et le voyage de Paul en Espagne ».
Cependant, aucune lettre de Paul ne permet de dire qu’il y est vraiment allé. De même en Espagne, à l’inverse de la Grèce, aucune tradition ne conserve la trace d’un passage de Paul. »
(Chantal Reynier – « St Paul sur les routes du monde romain » p.210-211)
Reconstitution d’un hypothétique 4e voyage
L’hypothèse d’un « 4e voyage apostolique » de Paul repose sur la lecture des lettres pastorales, qui sont à lire dans l’ordre suivant : 1 Timothée, Tite, 2 Timothée. Voici alors les renseignements qu’on peut y trouver.
Après sa captivité à Rome, Paul est libéré. Peut-être part-il un temps en Espagne. Ensuite il se rend en Crète, en compagnie de Tite. Il laisse Tite en Crète pour organiser l’Église naissante, et part pour Éphèse, Troas, puis la Macédoine. De là, Paul écrit une lettre à Timothée, resté à Éphèse.
Puis Paul se rend à Nicopolis, pour y passer l’hiver. Il y écrit la lettre à Tite, l’invitant à le rejoindre.
Ensuite, Paul visite peut-être l’Église de Corinthe, et celle de Milet, où il laisse Trophime malade.
On retrouve enfin Paul prisonnier, pour une 2e captivité à Rome, dans des conditions plus dures que la 1e fois. Paul sait que, cette fois, l’heure est venue. Il écrit une dernière lettre à Timothée.
Sur les pas de Paul
Le palais de Knossos
L’odéon de Gortyne
La basilique St Tite
Basilique St Tite
Milet
Éphèse
Troas
Philippes
Thessalonique
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Le palais de Knossos
Si Paul est allé en Crète, il a pu aborder à Héraklion, le port de l’antique Knossos. Knossos est l’un des plus anciens sites de Crète. Il semble avoir été habité depuis le 8e millénaire avant JC. Un palais immense, construit vers 1900 av. JC a été dégagé par les fouilles archéologiques. -
L’odéon de Gortyne
Plus au sud se trouve la ville de Gortyne, qui rivalisa avec Knossos, avant de devenir capitale de la Crète, sous l’empire romain. Paul, recherchant les grandes villes, est peut-être allé à Gortyne. -
La basilique St Tite
Ce qui nous intéresse, surtout, à Gortyne, c’est qu’on y fait mémoire de St Tite, son premier évêque et compagnon de Paul. Une basilique construite au 7e siècle lui est dédiée, bâtie sur le lieu supposé de son martyre. Photo de Marc Ryckaert (MJJR). -
Basilique St Tite
-
Milet
Après la Crète, Paul a pu se rendre à Milet... -
Éphèse
... puis Ephèse ... -
Troas
... Troas ... De là, Paul a pu se rendre en Macédoine, dans sa chère ville de Philippes, puis Thessalonique. -
Philippes
Lieu de la conversion de Lydie, dans la ville de Philippes -
Thessalonique
La 1e lettre à Timothée
« En partant pour la Macédoine, je t’ai prié de demeurer à Éphèse. » (1 Tim 1,3) C’est donc de Macédoine (Philippes, Thessalonique ?) que l’on imagine Paul écrivant à Timothée, qu’il appelle « Mon véritable enfant dans la foi. » (1Tim 1,2)
Paul se présente ensuite comme celui qui a fait l’expérience de la miséricorde de Dieu, dans le but d’en témoigner.
Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier. Et s’il m’a été fait miséricorde, c’est pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle. (1 Tim 1,15-16)
Si Paul écrit à Timothée, c’est parce que, dans cette ville d’Éphèse, certains ont dérivé dans leur foi, et enseignent des doctrines erronées. Cela a même amené Paul à excommunier deux membres de la communauté. Certains se sont fourvoyés en un creux verbiage ; ils ont la prétention d’être des docteurs de la Loi, alors qu’ils ne savent ni ce qu’ils disent, ni de quoi ils se font les champions… Certains ont fait naufrage dans la foi ; entre autres, Hyménée et Alexandre, que j’ai livrés à Satan pour leur apprendre à ne plus blasphémer. (1 Tim 1,6-7.19-20)
La conséquence de ces errements est, comme toujours, le dérèglement des mœurs. Notre lettre en fait, à plusieurs reprises, une liste affligeante.
Timothée est donc invité à combattre contre les faux docteurs, dans la fidélité à l’Évangile, avec foi et bonne conscience (1 Tim 1,19). C’est-à-dire qu’il doit enseigner avec droiture tout en étant un modèle de vie vertueuse.
Si tu exposes cela aux frères, tu seras un bon serviteur du Christ Jésus, nourri des enseignements de la foi et de la bonne doctrine dont tu t’es toujours montré le disciple fidèle. Quant aux fables profanes, racontars de vieilles femmes, rejette-les. Exerce-toi à la piété. Les exercices corporels, eux, ne servent pas à grand-chose : la piété au contraire est utile à tout, car elle a la promesse de la vie, de la vie présente comme de la vie future. Elle est sûre cette parole et digne d’une entière créance. Si en effet nous peinons et combattons, c’est que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, des croyants surtout. Tel doit être l’objet de tes prescriptions et de ton enseignement.
Que personne ne méprise ton jeune âge. Au contraire, montre-toi un modèle pour les croyants, par la parole, la conduite, la charité, la foi, la pureté. En attendant que je vienne, consacre-toi à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement. Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi, qui t’a été conféré par une intervention prophétique accompagnée de l’imposition des mains du collège des presbytres. Prends cela à cœur. Sois-y tout entier, afin que tes progrès soient manifestes à tous. Veille sur ta personne et sur ton enseignement ; persévère en ces dispositions. Agissant ainsi, tu te sauveras, toi et ceux qui t’écoutent. (1 Tim 4,6-16)
Un des grands intérêts des lettres pastorales est de nous donner des indications sur l’organisation des communautés chrétiennes primitives. Ainsi, Paul parle des « épiscopes » (litt. « surveillants, gardiens »), des « presbytres » (litt. « anciens »), des « diacres » (litt. « serviteurs »), qui deviendront les évêques, les prêtres et les diacres. Au temps de Paul, cependant, il est probable que les « épiscopes » et les « presbytres » désignent les mêmes personnes.
Paul décrit comment ces responsables des communautés chrétiennes doivent être vertueux et montrer l’exemple aux autres.
Mais Paul mentionne aussi d’autres catégories de fidèles, en les exhortant à travers Timothée : les fidèles, les femmes, les veuves, les esclaves, les riches. Chacun, à sa manière, doit manifester la vie nouvelle dans le Christ. Les points relevés sont très concrets, montrant que l’Évangile n’est pas une idéologie, mais un art de vivre illuminé par la Résurrection du Christ et l’espérance de la vie éternelle.
H. Après le récit des Actes
Un élément liturgique
Le texte suivant, qui se trouve dans le corps de cette 1e lettre de Paul à Timothée, est manifestement agencé de façon poétique. Il pourrait s’agir d’un extrait d’une hymne liturgique utilisée par les premières communautés chrétiennes.
Il a été manifesté dans la chair,
justifié dans l’Esprit,
vu des anges,
proclamé chez les païens,
cru dans le monde,
enlevé dans la gloire.
(1 Tim 3,16)
Ci-dessous, une belle composition moderne sur cette hymne antique. Le texte est chanté en grec, comme il a été écrit à l’origine. Musique de Radomir Nowotarski.
Épiscopes, presbytres, diacres chez St Ignace d’Antioche
Les lettres pastorales, et surtout la 1e lettre à Timothée, constituent un précieux témoin du début de l’organisation de la hiérarchie de l’Église en trois ordres : évêques, prêtres et diacres. Nous en avons un autre témoignage très fort, dans les lettres de St Ignace d’Antioche, martyrisé sous la persécution de Trajan, vers l’an 110, donc moins de 50 ans après la mort de Paul.
Ignace, 3e évêque d’Antioche, écrit des lettres lors de son voyage de captivité qui l’emmène vers le martyre, à Rome. Il y exhorte en particulier à l’unité de l’Église, selon une théologie très centrée sur le Christ. Voici deux extraits de ses lettres.
Ayez soin de ne participer qu’à une seule eucharistie ; car il n’y a qu’une seule chair de notre Seigneur Jésus-Christ, et une seule coupe pour l’union en son sang, un seul autel, comme un seul évêque avec le presbyterium (assemblée des prêtres) et les diacres, mes compagnons de service : ainsi, tout ce que vous ferez, vous le ferez selon Dieu. (Lettre aux Philadelphiens, 4)
Suivez tous l’évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbyterium comme les Apôtres ; quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. Que personne ne fasse, en dehors de l’évêque, rien de ce qui regarde l’Église. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé. Là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique. Il n’est pas permis en dehors de l’évêque ni de baptiser, ni de faire l’agape, mais tout ce qu’il approuve, cela est agréable à Dieu aussi. Ainsi tout ce qui se fait sera sûr et légitime. (Lettre aux Smyrniotes, 8)
« L’ordre » des veuves
Cette 1e lettre à Timothée témoigne d’une autre pratique dans l’Église primitive : l’ordre des veuves consacrées. Ce sont des femmes n’ayant plus de soutien de famille, que l’Église prenait en charge, et qui se consacraient à la prière.
La vraie veuve, celle qui reste absolument seule, s’en remet à Dieu et consacre ses jours et ses nuits à la prière et à l’oraison […] Ne peut être inscrite au groupe des veuves qu’une femme d’au moins 60 ans, ayant été la femme d’un seul mari. Elle devra produire le témoignage de sa bonne conduite : avoir élevé des enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les affligés, pratiqué toutes les formes de la bienfaisance. (1 Tim 5,5.9-10)
En notre temps, plusieurs diocèses proposent une formule renouvelée de ces « veuves consacrées ».
Par exemple :
Une perle : 1 Tim 2,4-6
Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous.
Le nouvel Adam est fondement de l’humanité nouvelle. Par sa mort et sa Résurrection, il arrache toute l’humanité à son péché et à la mort qui en est la conséquence. Une seule cause à ce mystère inouï : Dieu est amour ; sa seule volonté est que « tous les hommes soient sauvés » !