Paul est de retour à Antioche. Luc nous précise qu’avant de repartir pour un 3e voyage missionnaire, Paul reste « quelques temps » (Ac 18,23) dans cette ville. Luc en parle rapidement, mais le séjour a pu être long…
Il est possible que, pendant ce séjour, Paul ait reçu de mauvaises nouvelles des Églises qu’il a fondées sur les plateaux du centre de l’Asie mineure, dans le pays des Galates.
Ces Églises ont été visitées par des chrétiens « judaïsants », c’est-à-dire favorable à l’observance de la Loi de Moïse, et ont été profondément troublées. On ne peut pas être chrétien sans respecter le sabbat, les fêtes juives, sans être circoncis, etc…
De plus, ces « judaïsants » remettent sérieusement en cause la dignité et l’autorité d’apôtre de Paul. Il n’a jamais rencontré Jésus, alors comment peut-il enseigner en son nom ? Comment peut-il fonder des Église ?
Les nouvelles que reçoit Paul montrent que ses adversaires semblent l’avoir emporté : les Galates, eux qui ne sont pas juifs, commencent à adopter certaines pratiques de la Loi juive.
Alors il n’y tient plus : il dicte à son secrétaire la plus brûlante de ses lettres, une « lettre de combat ». Et il écrira la conclusion de sa propre main : « Voyez quels gros caractères ma main trace à votre intention. » (Gal 6,11) !
Cette lettre témoigne du bouillonnement de l’Apôtre, plongé dans la controverse. Il réagit avec toute l’énergie dont il est capable.
Dès les premières phrases, il est au combat, pour affirmer avec force, tout d’abord, son autorité d’Apôtre.
« Paul, apôtre, non de par les hommes ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu Père qui l’a relevé d’entre les morts …» (Gal 1,1). Paul prétend avoir reçu son titre et sa mission d’apôtre directement de Dieu ! La mention explicite de la Résurrection de Jésus peut laisser penser qu’il fait allusion à sa rencontre sur le chemin de Damas. Oui, il a rencontré le Christ ! Et de quelle façon !
« …ainsi que tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie » (Gal 1,2). Paul se trouve dans une communauté importante de chrétiens, et dans le contexte polémique où il écrit, il se recommande de l’ensemble de cette communauté.
Attaques et défenses se succèdent :
- Je m’étonne que si vite vous abandonniez Celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un second évangile – non qu’il y en ait deux ; il y a seulement des gens en train de jeter le trouble parmi vous et qui veulent bouleverser l’Évangile du Christ. Eh bien ! Si nous-même, si un ange venu du ciel vous annonçait un évangile différent de celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème ! (Gal 1,6-8)
- Quand je vous écris cela, j’atteste devant Dieu que je ne mens point. (Gal 1,20)
Paul en vient à décrire son parcours de vie. Bienheureuse crise galate qui nous permet de connaître tous ces détails : le zèle de Paul dans le judaïsme ; sa conversion ; son séjour de 3 ans en « Arabie » ; sa rencontre à Jérusalem, pendant 15 jours, avec Pierre ; sa nouvelle montée à Jérusalem « après 14 ans », pour rencontrer les « colonnes de l’Église », Jacques, Pierre, Jean.
Puis il en vient à raconter cet incident, à Antioche, qui l’a opposé à « Képhas » (nom araméen donné par Jésus, traduit par « Pierre »).
Cette dispute avec Pierre semble toute proche, toute chaude encore, dans le cœur de Paul, peut-être pendant ce même séjour de Paul à Antioche. Que s’était-il passé ?
Pierre mangeait sans problème avec les chrétiens d’origine non-juive. Mais quand arrivent des chrétiens proches de Jacques (évêque de Jérusalem, réputé sympathisant des « judaïsants »), Pierre s’en tient à l’écart. Et Barnabé lui-même agit pareillement !
Pour Paul, c’est la vérité de l’Évangile, rien de moins, qui est en jeu. Cette attitude balaie le mystère central de la vie du Christ et de notre salut : la Croix. Alors il intervient publiquement face à Pierre ! « Quand Képhas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il s’était donné tort. (Gal 2,11)
Son argumentation, telle qu’il la jette sur le papier, est difficile à suivre. Dans le feu de l’action, Paul laisse déborder ce que son intelligence aigüe a perçu, mais avec violence et de façon ramassée. Il faudra du temps, et la paix recouvrée sur ce sujet, pour que l’Apôtre l’expose à nouveau, admirablement, dans les 8 premiers chapitres de l’épître aux Romains. Ce sera lors d’un autre séjour à Corinthe, 4 ans plus tard.
L’énergie combative de Paul est celle d’une tigresse défendant ses petits. D’où les étonnants contrastes présents dans la lettre, qui montrent le caractère si riche de Paul.
- Ô Galates sans intelligence, qui vous a ensorcelés ? À vos yeux pourtant ont été dépeints les traits de Jésus Christ en croix. Je ne veux savoir de vous qu’une chose : est-ce pour avoir pratiqué la Loi que vous avez reçu l’Esprit, ou pour avoir cru à la prédication ? Êtes-vous à ce point dépourvus d’intelligence, que de commencer par l’esprit pour finir maintenant dans la chair ? Est-ce en vain que vous avez éprouvé tant de faveurs ? (Gal 3,1-4)
- Vous me faites craindre de m’être inutilement fatigué pour vous. (Gal 4,11)
Paul, le cœur bouleversé, est aussi rempli de tendresse pour « ses enfants », leur rappelant les circonstances de leur première rencontre (que nous ignorons, par ailleurs).
- Devenez semblables à moi, puisque je me suis fait semblable à vous, frères, je vous en supplie. Vous ne m’avez nullement offensé. Mais vous le savez, ce fut une maladie qui me donna l’occasion de vous évangéliser la première fois, et, malgré l’épreuve que vous était ce corps infirme, vous n’avez marqué ni mépris ni dégoût ; mais vous m’avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus. Que sont donc devenues les félicitations que vous vous adressiez ? Car je vous rends ce témoignage : s’il avait été possible, vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner. Alors, suis-je devenu votre ennemi en vous disant la vérité ? (Gal 4,12-16)
- Mes petits enfants, vous que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. Que ne suis-je près de vous en cet instant pour adapter mon langage, car je ne sais comment m’y prendre avec vous. (Gal 4,19-20)
Dans le reste de l’épître, faisant appel à l’autorité de l’Écriture à travers les figures d’Abraham, Sarah et Agar, Paul montre comment la vie chrétienne est une vie de liberté dans l’Esprit Saint.
Citons quelques « perles », parmi d’autres, extraites de cet enseignement.
- Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. (Gal 2,20)
Avant les préceptes, il y a une vie d’intimité avec le Christ, dont l’amour indicible est source de vie et de salut.
- Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. (Gal 3,27-28)
Voilà la condition nouvelle des chrétiens, sauvés par le Christ.
- Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! Aussi n’es-tu plus esclave mais fils ; fils, et donc héritier de par Dieu. (Gal 4,4-7)
La grâce de Dieu fait de nous des fils dans le Fils Unique. C’est le seul passage des lettres de Paul où il est question de Marie. St Luc, disciple de Paul, sera beaucoup plus abondant, dans son Évangile.
- Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses il n’y a pas de loi. (Gal 5,22-23)
Ce passage, justement célèbre, montre comment Dieu agit dans nos vies de chrétiens, et à quoi on le reconnait. Paul livre ici une grille très simple permettant d’évaluer la qualité de notre vie chrétienne.
- Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde. (Gal 6,14)
Au terme de sa lettre, Paul réaffirme avec force et même provocation comment la Croix de Jésus ne peut être qu’au cœur de toute vie authentiquement chrétienne. C’est par la Croix que les prétentions orgueilleuses de l’homme sont réduites à néant et que la vie nouvelle est possible.
Ces « quelques temps » passés à Antioche étant écoulés, Paul va reprendre son bâton. Il repart pour son 3e voyage missionnaire, qui va justement commencer par la visite de ces communautés de Galatie.
Avant de poursuivre, pour le plaisir, voici quelques versets de l’épître aux Galates, sur un fond de musique hébraïque moderne, postés par « Ruth, Israélite en Yéshoua » (c’est à dire juive reconnaissant que Jésus est le Messie). Magnifique chant interprétée par Yossi Azulay (dont les paroles ne sont pas la traduction de celles de Paul).
Qui sont les Galates ?
La Galatie a désigné, au cours des âges, différentes régions du centre de la Turquie actuelle.
Au sens géographique, elle désigne un territoire conquis vers 280 av. JC par des tribus gauloises ayant traversé la moitié de l’Europe avant de se fixer dans cette région. C’est la Galatie du nord (autour d’Ancyre, l’actuelle Ankara).
Au sens administratif, pour l’empire romain, c’est un territoire beaucoup plus étendu, comprenant la Galatie du nord, plus une partie de la Phrygie, la Pisidie, la Lycaonie et l’Isaurie.
À partir de ces deux désignations, les avis sont partagés pour savoir qui sont les Galates, destinataires de la lettre de Paul. Ceux du nord ? Ceux du sud (Antioche de Pisidie, Iconium, etc…) ? Nous penchons pour cette hypothèse.
La montée à Jérusalem de Gal 2,1
« Ensuite, au bout de quatorze ans, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabé et Tite que je pris avec moi. » (Gal 2,1)
Il est presque certain que ces 14 ans sont comptés à partir de la conversion de Paul. Mais de quelle montée à Jérusalem s’agit-il ? Là encore, on se heurte à la chronologie des Actes des Apôtres. Luc nous mentionne deux montées à Jérusalem : en Ac 11,27-30 (à l’occasion d’une famine) et en Ac 15,1-29 (pour l’Assemblée de Jérusalem). De laquelle s’agit-il ?
En faveur d’Ac 11 :
- Dans l’épître aux Galates, Paul prend soin de mentionner ses liens avec Jérusalem et avec l’Église. Est-il possible que ce soit Ac 15, et qu’il ait oublié de parler de son passage d’Ac 11 ?
- En Gal 2,3, Paul dit que Tite n’a pas été obligé de se faire circoncire. On a l’impression d’un cas particulier, traité avant la grande polémique d’Ac 15, qui légifère pour l’ensemble. Ça voudrait dire aussi que l’épître aux Galates est écrite avant la décision d’Ac 15.
En faveur d’Ac 15
- Peut-il y avoir 14 ans entre la conversion de Paul (Ac 9) et cette montée d’Ac 11 ? On a 3 ans en Arabie, puis un séjour à Jérusalem, un séjour à Tarse, puis au moins un an à Antioche. Cela voudrait dire environ 10 ans à Tarse, sans activité apostolique rapportée par la tradition ? ! Pendant ces 10 ans d’inconnu, il est tentant de placer le 1e voyage apostolique.
- En Ac 11, Paul et Barnabé montent à Jérusalem porteurs d’une collecte de l’Église d’Antioche, alors qu’en Gal 2,2, Paul monte « à la suite d’une révélation ». À moins que cette révélation soit celle faite à Agabus (Ac 11,28) et non pas une révélation à Paul lui-même. Mais ce n’est pas l’impression qu’en donne Paul.
Il est difficile de trancher. Nous penchons, personnellement, pour la chronologie suivante : Au retour du 2e voyage, Paul s’oppose à Pierre. Peu après, des nouvelles des Galates obligent Paul à écrire son épître. Le problème n’étant pas résolu, tout le monde monte à Jérusalem pour débattre du problème de la circoncision (une partie du travail de l’Assemblée de Jérusalem). De retour à Antioche, Paul part pour son 3e voyage, qui va justement passer par chez les Galates, porteur des conclusions de Jérusalem.
Dans cette hypothèse, la « montée après 14 ans » serait celle d’Ac 11, mais placée à un autre moment que dans la chronologie des Actes.
Paul a reçu sa mission de Dieu
Les « judaïsants » qui ont visité les chrétiens de Galatie et sont venus « jeter le trouble » (Gal 1,7 ; 5,10) dans ces communautés, ont fait valoir que Paul ne faisait pas partie du collège des Apôtres de Jésus, et qu’il n’avait même pas été envoyé par eux. Du coup, son enseignement n’est pas recevable.
Cet argument a eu suffisamment de poids pour faire basculer les Galates de leur côté. Paul est ainsi obligé d’insister avec force sur l’authenticité de sa mission : Il la tient de Dieu lui-même, directement, et elle a été confirmée par les plus importants parmi les Apôtres. En voici quelques échos :
- Paul, apôtre, non de la part des hommes ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité des morts (Gal 1,1)
- Sachez-le, en effet, mes frères, l’Évangile que j’ai annoncé n’est pas à mesure humaine : ce n’est pas non plus d’un homme que je l’ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ. (Gal 1,11-12)
- Quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens, … (Gal 1,15-16)
- Reconnaissant la grâce qui m’avait été départie, Jacques, Képhas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion. (Gal 2,9)