B.1. D’Antioche à Salamine

L’envoi en mission

Nous sommes à Antioche.

Après le retour de Jérusalem de Barnabé et Saul, accompagnés du cousin de Barnabé, Jean, surnommé Marc, les Actes nous présentent un événement de grande importance dans l’histoire de l’Église : leur envoi en mission.

L’Église d’Antioche était dirigée par cinq « prophètes et docteurs » :

  • Barnabé, nommé en premier, car représentant des Apôtres
  • Syméon, surnommé Niger. Il était peut-être de peau basanée, voire noire.
  • Lucius, originaire de Cyrène, en Afrique du nord. On se souvient qu’un certain Simon, qui a aidé le Christ à porter sa croix, était aussi originaire de cette ville (Mt 27,32).
  • Manaën, un ami d’enfance du tétrarque Hérode Antipas, celui qui fait tuer Jean-Baptiste et renvoie Jésus à Pilate (Lc 23,11).
  • Saul, nommé en dernier, car peut-être arrivé le dernier dans ce groupe, un an auparavant.

Un jour, tandis qu’ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l’Esprit Saint dit : « Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l’œuvre à laquelle je les ai appelés. (Ac 13,2)

St Luc conclut simplement : « Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission. » (Ac 13,3)

Ci-dessous, le trajet complet de ce premier voyage missionnaire.

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Séleucie

La barque de Paul – Maurice Denis

La barque de Paul – Maurice Denis

Le 1e voyage missionnaire de Paul va donc commencer en bateau. C’est tout un symbole, quand on sait l’importance de ce moyen de transport dans la suite de la vie de l’Apôtre. Tout un symbole aussi lorsqu’on sait comment l’Église s’est elle-même vue sous la forme d’un navire dont le Christ est le pilote et l’Esprit Saint le vent dans les voiles. En vérité, c’est au service de l’Église et du Christ, conduits par l’Esprit, que Barnabé, Saul et Marc partent à l’aventure.

Pour cela, il faut d’abord se rendre au port d’Antioche, Séleucie, à 32 km de là.

Ci-dessous, une copie d’écran du site de Séleucie tirée de Google Earth.

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Sur cette photo, on reconnait le petit port actuel, au pied du massif montagneux se prolongeant vers le nord-ouest.

En direction de l’est, une grande plage, et au fond, le mont Cassius.

B1 A4Le port d’Antioche, établi dès le 3e siècle av. JC, comptait, à son apogée, 30.000 personnes.

Le grand problème du port de Séleucie était l’ensablement, à cause des alluvions transportées par l’Oronte et les torrents environnants. Il fallait régulièrement de grands travaux pour maintenir le port en état de fonctionnement. Au 1e siècle, Vespasien, puis Titus, essaieront une solution plus radicale : dévier un torrent coulant à l’est de la ville pour l’amener jusqu’au port. Des travaux gigantesques, dont l’ampleur dit l’importance du port aux yeux de Rome, sont entrepris à travers la montagne : 1300 m de tranchées et tunnels pour amener le cours d’eau au port. Ci-dessous quelques photos de ce qu’on peut en voir aujourd’hui.

Malgré d’aussi grands travaux, le port continua à s’ensabler….

On ne peut pas dire à quelle époque de l’année Barnabé, Saul et Marc s’embarquent. Ce qui est sûr, c’est que la navigation n’est possible que de mars-avril à octobre-novembre. C’est donc pendant les beaux jours qu’il faut imaginer le voyage. Le trajet entre Séleucie et Salamine est de 210 km en mer.

 

 

Salamine

« Arrivés à Salamine, ils se mirent à annoncer la parole de Dieu dans les synagogues des Juifs. » (Ac 13,5). Le texte des Actes précise bien « les » synagogues. Salamine est en effet une grande ville (200.000 habitants) peuplée de Grecs et de Phéniciens, qui accueille en son sein une communauté importante de la Diaspora juive. Cette ville très animée attire les foules à cause du sanctuaire de Zeus qui s’y trouve. Son agora est l’une des plus grandes du monde méditerranéen (230m x 55m). La ville possède 4 gymnases.

Ci-dessous, quelques photos du site de Salamine.

De façon assez étonnante, St Luc ne nous dit rien du résultat de l’évangélisation de Salamine.

La Tradition dit que St Barnabé serait revenu dans son île natale pour y subir le martyre.

Ci-dessous, le monastère St Barnabé, où se trouve la tombe de l’apôtre, après son martyre.

Les 3 missionnaires vont maintenant se diriger vers l’ouest de l’île.

Le geste d’imposition des mains

Ce geste de l’imposition des mains est pratiqué depuis la nuit des temps. On le trouve dans l’Ancien Testament, associé à diverses significations (Gn 48,13-16 ; Dt 34,9 ; Lv 16,21 ; …).

Jésus a pratiqué ce geste sur les malades, pour les guérir ou les délivrer (Lc 13,12-13 ; 4,40 ;…) Il a aussi imposé les mains aux enfants en signe de bénédiction et de tendresse (Mc 10,13-16).

Dès les débuts de l’Église, ce geste est un signe de consécration, de communication de l’Esprit Saint et de transmission de l’autorité des Apôtres. Ce geste deviendra en particulier le geste principal d’ordination des évêques, prêtre et diacres.

Ainsi trouve-t-on sous la plume du vieux Paul écrivant à son disciple bien-aimé Timothée : « Ne néglige pas le don de la grâce qui est en toi, qui te fut conféré par une intervention prophétique, accompagnée par l’imposition des mains par le collège des anciens » (1Tm 4,14). Et Timothée doit reproduire ce geste. Paul lui conseille alors : « N‘impose les mains hâtivement à personne » (1 Tm 5,22).

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Les voyages maritimes

Nous renvoyons le lecteur à l’excellent livre de Chantal Reynier : « Saint Paul sur les routes du monde romain » (éditions Cerf-Mediapaul). Les informations de tout ce paragraphe en sont tirées.

Les voyages sont toujours tributaires des vents.

On voyage sur les bateaux de marchandise.

Il faut saisir les opportunités des bateaux en partance et de la météo.

Le prix du voyage n’est pas très élevé : 2 à 6 oboles (un ouvrier gagne 9 oboles par jour) ; le voyage entre Athènes et l’Égypte coûte 2 drachmes, c’est à dire 12 oboles. On peut aussi embarquer en payant « en nature », c’est à dire en travaillant comme marin.

À bord, on rencontre des hommes libres, des femmes (confinées dans un espace précis pour éviter les problèmes que pouvaient faire naître la promiscuité), des esclaves (dont le sort n’est guère enviable, car ils sont les premiers à être jetés par-dessus bord en cas de tempête, pour alléger le bateau).

En général, les passagers sont sur le pont, au milieu de leurs bagages, leurs couvertures, leur ravitaillement. Ils sont exposés à l’eau, au sel, au soleil, au vent, à la pluie, à la houle, au mal de mer… Peu de navires ont des cabines. On peut installer une toile de tente au-dessus du pont.

Ci-dessous, quelques navires de commerce de l’antiquité :

cargo_grec_ponte (Site Navistory)

Cargo grec ponte (Site Navistory)

 Corbita (Site Navistory)

Corbita (Site Navistory)

kibaya (Site Navistory)

kibaya (Site Navistory)

Cargo en cours de chargement en coupe

Cargo en cours de chargement en coupe

KYBELE-EN-MER (Site cabotage)

KYBELE EN MER (Site cabotage)

Corbita en mer

Corbita en mer

Un des soucis de l’équipage est d’assurer le ravitaillement en eau douce. Celle-ci ne pouvait se conserver plus de 15 jours. L’approvisionnement en eau est l’une des raisons des nombreuses escales.

Les passagers doivent emmener leur nourriture (galettes, huile, ail, salaisons, noix…). On peut, bien sûr, essayer de pêcher. La nourriture peut être cuite sur des foyers et des réchauds en terre.

À bord, les passagers comme les marins prennent en commun les décisions graves concernant la navigation (Ac 27,9-12), et le commandant se doit de prendre en compte l’avis de tous ceux qui sont embarqués. De même, les passagers sont amenés à participer aux manœuvres du navire.

Voyager par mer demandait un courage que tous les auteurs anciens soulignent, car les dangers sont multiples. Paul témoigne avoir fait naufrage par 3 fois (2 Co 11,25) (sans compter le naufrage décrit à la fin des Actes des Apôtres !). Sans compter que pour l’homme de l’Antiquité, l’idée de périr en étant privé de sépulture est insupportable.

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Navires de commerce romains Sarcophage du IIIe siècle ap. J.-C

Autre danger redoutable : les pirates, qui abordent les navires, soudoient les pilotes, allument des feux la nuit pour attirer le navire sur des récifs, s’emparent de la marchandise et réduisent les passagers en esclavage.

A cause de ces dangers et incommodités (mal de mer, odeurs pestilentielles), les voyages en mer sont difficiles, accompagnés de peurs et de maux. Et pourtant, ces conditions de voyage sont meilleures que par la terre (nous le verrons plus loin), et le trajet beaucoup plus rapide. Il faut en effet 20 jours, au départ de Pouzzoles (Italie du sud) pour rejoindre Alexandrie (Égypte). Pline l’Ancien confirme la rapidité de ce trajet en parlant d’un temps record de 9 jours. (Sur terre, il faut environ 3 jours pour parcourir une centaine de kilomètres).